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Article de Muriel Rosset, présidente de « Connexions familiales », publié le 5 juillet 2019 sur le blog Management en Milieu de Santé où elle est auteure.
Selon l’OMS, les maladies mentales affectent
Des travaux plus récents menés en Europe ont réévalué à la hausse le nombre de personnes affectées par un trouble psychiatrique. Parmi les maladies psychiques connues, on parle toujours de la schizophrénie et des troubles bipolaires… Combien d’entre vous savent donc que borderline n’est pas juste une expression de la langue française, mais une maladie tout aussi fréquente, grave et douloureuse pour le patient et pour ses proches ?
Le Trouble de la Personnalité Limite, TPL, ou trouble borderline touche entre 1,5 à 3% de la population, ce qui équivaut ou excède le nombre de personnes atteintes de schizophrénie ou trouble bipolaire de type 1.
Dans ces conditions, pourquoi cette maladie fait-elle l’objet de si peu d’articles scientifiques et de fonds de recherche, en comparaison notamment de la schizophrénie ?
Articles scientifiques 1980-2002 : TPL 2046 / schizophrénie 26265
Fonds de recherche NIMH National Institutes of Mental Heath TPL 6 M $ / Schizophrénie 300 M $
*Chiffres issus de la NEABPD National Education Alliance for Borderline Personality Disorder en octobre 2012
Une explication avancée sur le manque de moyens accordés à cette maladie vient du fait qu’il n’existe pas de médicament pour la soigner. Or les laboratoires aiment la recherche qui fait vendre des médicaments…
Certes, beaucoup de patients borderline ont un traitement médicamenteux pour gérer les troubles et comorbidités associés à leur maladie, variables selon les personnes : dépression, trouble bipolaire, syndrome de stress post-traumatique (SSPT), anxiété, troubles de l’alimentation, problèmes liés à l’alcool et aux drogues. Hélas ces médicaments ne permettent pas de résoudre les 5 dérèglements et 3 manifestations typiques de la maladie
On voit bien que pour vivre, gérer et faire face à de telles situations, mieux vaut être armé et gagner en compétence !
Cet article propose d’explorer trois pistes afin d’améliorer la situation les malades, des proches et intervenants qui les accompagnent,
Je terminerai mon propos par le témoignage retour du docteur Lida Pulik avec qui j’ai animé notre deuxième parcours de formation. Ce témoignage est pour moi une très belle illustration de l’importance d’une médecine plus participative, et peut rejoindre tous les médecins, quelle que soit leur spécialité.
Pourquoi les sites en santé mentale énoncent-ils toujours les mêmes maladies psychiques déjà connues, et si rarement le simple nom de borderline ?
Pourquoi, lorsque je parle de l’association francophone de familles et psychiatres que je préside [1], me répond-on invariablement :
Ah bon, parce que borderline c’est une maladie ? Ce n’est pas juste quelqu’un d’un peu sur les bords, un peu limite ? D’ailleurs on est tous un peu limite quelque part, vous ne trouvez pas ?
J’avoue que les deux noms courants pour cette maladie – TPL et borderline – n’aident pas à en comprendre l’importance. Moi-même, qui ai mis tant de temps à obtenir un diagnostic pour mon proche malade, je n’ai pas fait attention lorsque la psychiatre nous a dit : nous ne savons pas ce qu’a votre enfant, elle a certainement une personnalité limite, mais il est trop tôt pour en dire plus…
« Personnalité limite », ça ne ressemblait pas à un nom de maladie, alors il nous a fallu attendre plusieurs années pour avoir enfin une reconnaissance et annonce plus officielle de la maladie, et chercher par nous-mêmes des explications qui nous furent trop peu données à l’époque. Aujourd’hui, je constate que la situation s’améliore sensiblement.
A titre plus personnel, l’éditeur franco belge Jourdan – la boîte à Pandore a considéré que le sujet était suffisamment d’actualité et sujet de société pour vouloir publier mon récit à deux voix et quatre mains parallèles écrit par moi-même et ma fille sur la traversée de sa maladie. Notre témoignage doit sortir à la rentrée 2019. En voici une brève accroche :
Face au tsunami de la déraison, le fond du fond est toujours plus profond qu’il n’y parait, toujours plus solitaire qu’on ne le voudrait. Le temps soudain s’arrête dans toute sa densité, sa beauté parfois, sa noirceur souvent, sa contention hélas : contention blanche des médecins et de la médecine, depuis la chambre d’isolement à la contention chimique des médicaments, contention noire de la maladie et du gouffre qu’elle engendre.
Hélène et sa mère Muriel ont écrit séparément ce récit à deux voix, l’une avec ses mots brefs et percutants, l’autre comme on dessine un tableau impressionniste. Elles vous invitent aujourd’hui à vous asseoir à leur table. Pas pour souffrir avec elles. Pas pour essayer de comprendre l’inimaginable. Simplement pour goûter l’amour profond et mystérieux qui peut jaillir de tels instants malgré les bouleversements, les incohérences, et une mouvance permanente de sentiments qui pourront parfois vous donner le vertige.
Pour autant, le chemin reste long pour former tous les accompagnateurs et patients… Ainsi, un directeur de structure psychiatrique m’a lui-même avoué, après m’avoir entendu témoigner à une table ronde sur le patient à la journée « l’hôpital de demain pour réussir le projet de loi « ma santé 2022 »» : « Les borderline, ce sont les malades dont on ne sait pas quoi faire ! »
Le docteur Lida Pulik, pédopsychiatre, témoigne également en fin d’article : « cette pathologie est une des plus difficiles à soigner selon moi, et confronte les professionnels à une charge émotionnelle énorme. »
Pour répondre à ce souci réel, ainsi qu’aux appels d’école ou hôpital qui demandent à notre association de les former, voici deux thérapies existantes, ainsi que l’explication et les fruits de la psychoéducation des proches telle que nous l’animons.
Les thérapies suivantes restent encore assez peu proposées en francophonie, mais les professionnels se forment progressivement.
a) Thérapie comportementale dialectique lancée par Marsha Linehan (TCD)
Origine
Marsha Linehan est américaine. A 18 ans, elle est diagnostiquée schizophrène lors d’une hospitalisation où elle a est soumise à des électrochocs et à l’isolement. Nous sommes en 1961, elle ne découvrira que plus tard qu’elle souffre en réalité de troubles de la personnalité limite. Désormais psychologue, elle a créé la TCD pour répondre à des problèmes qu’elle connaît bien comme malade et professionnelle. « Dialectique » signifie « intégrer et accorder une importance aux faits ou aux idées contradictoires en vue de résoudre des contradictions apparentes ».
Pour cela, il convient d’aider les patients à ce qu’ils aient envie de vivre leur vie et de la construire selon leurs valeurs propres. La thérapie combine des notions de neurosciences et de psychothérapie cognitivo-comportementaliste avec des concepts zen, comme l’acceptation et la pleine conscience (mindfulness).
Mieux vivre le moment présent
Cette pleine conscience du moment présent est importante pour tous. Lors de l’animation de nos modules de psychoéducation, nous démarrons donc nos séances par 5 minutes de mindfulness, afin d’apprendre à nous recentrer sur notre respiration et notre corps, soulager notre stress, chasser les pensées négatives, et vivre pleinement ce mot que nous enseignons dès le commencement de notre parcours afin de faire face aux difficultés : anodin, anodin, anodin…
Étapes
Pour faire bref, Marsha Linehan propose quatre étapes thérapeutiques
Son manuel d’entraînement aux compétences TCD les détaille.
b) Thérapie basée sur la mentalisation TBM
La TBM a été développée et manualisée par Peter Fonagy et Anthony Bateman pour les troubles de la personnalité limite. Elle permet notamment au patient d’améliorer son introspection, d’identifier ses schémas dysfonctionnels, de mieux comprendre ce qu’il pense de lui et des autres, et surtout comment ses sentiments dictent ses réactions, comment ses « erreurs » de compréhension de soi et des autres l’amènent à agir, afin de devenir plus stable et de donner un sens à des sentiments incompréhensibles.
Selon le Professeur Speranza, qui a permis la création de notre association Connexions familiales dont il est le secrétaire, la plupart des techniques qu’on retrouve dans la TBM sont des éléments de base de toutes les pratiques thérapeutiques : soutien, empathie, exploration, challenge. Renforcer la mentalisation reste pourtant la cible même du traitement.
Ces thérapies, même adaptées et intégrées, n’en rendent pas moins souhaitables une formation des proches, responsables non pas de la maladie de leur être cher, mais de l’accompagner et lui fournir un environnement le plus validant possible pour soutenir ses besoins émotionnels.
Objectifs des formations
Les proches de personnes borderline ont tout intérêt à se former, pour deux raisons principales :
Cet accompagnement est un lourd fardeau, qui nécessite
Contenu des formations
Le programme Connexions familiales s’étale sur plusieurs semaines consécutives, afin d’avoir le temps de vivre et partager ce qui est appris :
Les deux premiers groupes de 2018 et 2019 ont terminé notre parcours sur 10 à 12 semaines, mais ont continué à se rencontrer chaque mois pour partager leurs pratiques et évolution, et continuer ainsi de de soutenir mutuellement.
Pour des renseignements sur les prochaines sessions, contacter l’association.
Bénéfices de notre première formation en France : « je pense que ce programme m’a aidé à »
Dès février 2019, à l’issue de notre premier programme de formation, nous avons remis un questionnaire, introduit par quatre questions générales auxquelles il était possible de répondre par : sûrement, probablement, peut-être et non.
Voici les 11 réponses à la question « je pense que ce programme m’a aidé à », qui donnent une idée partielle de l’utilité du programme même si ça ne dit pas tout.
1) apprendre sur la maladie : 11 sûrement
2) apprendre sur la façon de mieux faire face : 11 sûrement
3) apprendre à mieux gérer mes émotions : 10 sûrement et 1 probablement
4) apprendre à mieux gérer les ressources existantes pour faire face : 10 sûrement et 1 probablement.
Qui anime les formations ? Richesse d’une médecine participative
En Suisse, ces modules sont assurés par des professionnels, dont certains sont formés aux thérapies dialectiques comportementales. Un parent de notre association s’étant inquiété de ne pas être aussi bien formé, alors même que nous avons tous suivi une formation puis une formation de formateur, le psychiatre de notre équipe nous a redit les bienfaits de notre formule française. Ces bienfaits ne dénigrent en aucun cas l’importance de ce qui est fait ailleurs pour faire avancer chacun dans son contexte local :
« avoir des connaissances spécialisées, voire une formation en TCD peut être un avantage, mais également une limite, car l’attente est peut-être très importante et peut-être en partie déçue. Le partage d’expérience (car vous êtes passés et vous vivez les mêmes expériences des participants) donne un contexte d’échange paritaire qui est à mon avis moins inhibant, avec une co-participation plus active et égalitaire (et non les experts d’un côté, les apprentis de l’autre) qui est favorable au groupe. »
En France, nous avons donc la chance d’animer nos sessions en trinôme : un psychiatre et deux pairs aidants. Nous changeons d’animateurs pour chaque nouveau groupe, ce qui nous permet d’être plus nombreux à mettre en œuvre nos compétences acquises en formation de formateur.
Nous nous retrouvons dans un GEM de l’oeuvre Falret. Les GEM sont des Groupes d’Entraide Mutuelle qui permettent aux personnes affectées par un handicap psychique ou une lésion cérébrale de lutter contre l’isolement, de se rencontrer, d’échanger leurs problèmes et leurs expériences, de s’entraider, de participer à des activités et projets communs.
Nous avons aussi la chance d’avoir quelques professionnels qui participent à chaque formation au même titre que les parents ou conjoint de malade, et partagent en toute simplicité leur expérience et leurs impuissances.
Récemment, quand j’ai demandé à une malade en sentiment de vide pourquoi elle n’avait rien mis autour d’un poisson rouge qu’elle avait dessiné, elle m’a répondu « vous parlez comme ma mère. » Je me sens dépassée par son mal-être.
De mon côté, je peux témoigner comme paire aidante combien le manque de communication avec les psychiatres a été par le passé problématique dans la bonne prise en charge de mon enfant. Je me réjouis donc d’avoir assuré une formation avec une psychiatre bienveillante et à l’écoute, dont vous trouverez le témoignage en fin d’article. Je me réjouis également d’avoir eu dans mon public de personnes en formation une psychiatre venue apprendre à mieux écouter, connaître et comprendre les familles, afin de mieux gérer ses relations avec elles. Ses questions et réactions sur ce qui nous avons enseigné et témoigné ont été source d’échanges très instructifs pour tous. Nous apprenons beaucoup les uns des autres.
Patients et pairs aidants ne peuvent donc que se réjouir de cette médecine plus participative. Mais qu’en est-il pour les psychiatres ? Face au nouveau paradigme d’une médecine qui met en avant « l’expérience patient » (détail en annexe), comment les médecins vivent-ils le nouveau positionnement qui leur est demandé, comment vivent-ils le fait de « faire confiance aux patients et pairs aidants », selon l’expression de ma dernière intervention en congrès de santé et interview à venir avec Beesens, la e-santé en partage ?
Pour répondre à cette question, et conclure ce parcours d’une maladie qui souhaitons-le sera mieux connue, accompagnée et par là-même soignée en préventif et curatif, j’ai demandé au Docteur Hélène Lida Pulik de me partager son témoignage, que je vous livre tel qu’elle me l’a envoyé. Il nous éclairera sur pourquoi la vie vaut la peine d’être vécue, même quand on est malade psychique.
« En tant que psychiatre m’occupant d’adolescents depuis de nombreuses années et notamment d’adolescents présentant un TPL, je peux témoigner de l’apport important du programme connexions familiales pour ma pratique professionnelle.
En effet, cette pathologie est une des plus difficiles à soigner selon moi, et confronte les professionnels à une charge émotionnelle énorme, aussi bien du côté du jeune qui est malade, que du côté de ses parents. De plus, l’amélioration est lente et laborieuse avec de nombreux à-coups dans l’évolution. Les médecins vivent donc des moments d’impuissance, de découragement et de forte inquiétude.
Connexions familiales apporte un grand avantage : permettre au psychiatre de cerner de manière plus juste le vécu de la famille face au jeune et à ses symptômes ; nous pouvons nous mettre dans leur angle de vue et entendre leur vérité.
C’est plus difficile quand nous soignons le jeune, alors même que nous travaillons beaucoup avec les parents. Mais il est complexe d’adopter trois à quatre points de vue différents simultanément : celui du jeune, de ses parents (souvent il existe des visions différentes du père et de la mère) et le nôtre comme thérapeute, tout en prenant en compte l’ensemble du système familial et des sous-unités relationnelles le composant (cette approche systémique est aussi essentielle).
Même si chaque situation est différente et singulière, la compréhension mieux éclairée de ce à quoi sont soumis les parents et des modalités réactionnelles qu’ils utilisent est un enrichissement notable dans le dispositif thérapeutique. Il me permet de mieux ajuster le dispositif thérapeutique.
De plus, ce programme permet d’appréhender les effets et la manière dont les familles entendent ce que les professionnels énoncent. Au-delà de la nécessité d’expliciter une part du jargon médical, le programme permet de comprendre comment les paroles du thérapeute peuvent blesser inutilement les parents alors même qu’elles sont d’intention bienveillante, dans des moments où la sensibilité exacerbée de tous demande une attention plus soutenue aux formulations utilisées et à l’explicitation.
Je pense, sans vouloir m’avancer trop dans ce que diraient les familles, que cet enrichissement est certainement réciproque. La relation entre parents d’adolescents et thérapeutes a tout à y gagner car, pour moi, nos premiers partenaires sont bel et bien les parents. Sans leur appui et leur regard, nous ne pouvons rien faire. Il nous faut travailler en équipe avec eux.
Enfin, en tant qu’être humain, j’apprends beaucoup de ce programme au contact des parents formateurs et formés. Ces rencontres ont une authenticité et permettent un accordage « émotionnel » avec ces parents, au-delà de leur contenu technique ou cognitif.
Pour exemple : lorsqu’un père me recommande la lecture d’un poème sur l’espoir* alors que je viens d’expliquer la difficulté à ajuster la réponse à une adolescente suicidaire qui demande en quoi la vie vaut d’être vécue, je considère que nous nous sommes rencontrés, écoutés mais aussi compris. Une qualité relationnelle et une grande humanité sont alors au rendez-vous. »
* L’espérance, d’Andrée Chedid : « J’ai ancré l’espérance aux racines de la vie »
[1] détail concernant notre association « Connexions familiales, section francophone de la NEABPD » dans mon précédent article Une 1ère en France en psychoéducation familiale des TPL (Troubles de la Personnalité Limite) : Connexions Familiales©. Depuis décembre 2017, cet article circule chaque jour auprès de publics concernés, ce qui est une bonne nouvelle pour répondre à notre premier souci de meilleure connaissance de la maladie.
Expérience Patient : l’expérience patient recouvre l’ensemble des interactions et situations vécues par une personne et ses proches tout au long de son parcours de santé, susceptibles d’influencer leur perception : ressenti, incertitudes, ce qui diminue l’angoisse et l’asymétrie soignant soigné, le besoin d’une organisation réactive et de technologies innovantes ». (définition de l’institut français expérience patient présentée au ministère de la solidarité et de la santé français en 2019, grâce aux 886 réponses à son sondage et baromètre envoyé à des soignants.) « Ces interactions sont façonnées à la fois par la politique conduite par l’établissement et par l’histoire et la culture de chacun des patients accueillis. » Beryl Institut aux USA, établissement très en avance sur le sujet.