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Entretien avec le Docteur Amaury Durpoix – CHRU de Strasbourg
23 août 2023 – Propos recueillis par Jean-Baptiste Rosset
Amaury Durpoix est interne en psychiatrie, membre de Connexions Familiales, et bientôt chef de clinique en addictologie. Dans ce cadre, il est amené à rencontrer différents types de patients, dont des personnes TPL borderline.
Avec passion, il témoigne ici de son expérience professionnelle…
AD. Je suis médecin psychiatre, en dernière année d’internat de psychiatrie au Centre Hospitalier Régional Universitaire de Strasbourg. Dans quelques mois, je serai chef de clinique en addictologie. Cela me permettra d’être en lien avec les patients mais aussi avec l’enseignement et la recherche universitaire.
J’ai fait ma thèse de médecine sur la Thérapie Comportementale et Dialectique (TCD), qui est la thérapie de référence dans le trouble borderline. Chez nous, on l’applique en groupes avec des patients souffrant de dysrégulation émotionnelle, dont majoritairement le trouble borderline, mais aussi d’autres troubles comme le trouble bipolaire ou le TDAH (Trouble du Déficit de l’Attention avec/sans Hyperactivité).
La TCD, thérapie de référence pour le trouble borderline, est appliquée chez nous dans le cadre de groupes thérapeutiques.
Dans le cadre de ma thèse, j’ai étudié l’état des patients un an après leur participation à ces groupes. Les résultats sont tout à fait encourageants. D’autant plus que les évaluations ont porté sur les premiers groupes lorsqu’on découvrait encore la thérapie.
Pour animer ces groupes, nous nous appuyons sur des livrets qui ont été beaucoup améliorés sur le fond et la forme grâce à une collègue faisant sa thèse de psychologie. Ces livrets expliquent la théorie de la TCD et donnent aux patients les exercices à réaliser entre les séances. Ils peuvent également y noter leur propre expérience à domicile. Désormais très aboutis, les livrets permettent d’aider de plus en plus de personnes ayant besoin d’une meilleure régulation émotionnelle (autismes, lésions cérébrales…), même si l’essentiel de nos patients reste le trouble borderline. Par ailleurs, nous utilisons des vidéos réalisées pendant la période de confinement. Séance après séance, elles permettent aux patients de revoir ce qui a été travaillé en séance. C’est aussi un moyen innovant d’expliquer aux soignants et au grand public notre démarche de soin.
En parallèle, le CHRU organise des formations pour les soignants sur la Thérapie Comportementale et Dialectique.
AD. Je travaille dans le domaine de l’addictologie et j’y rencontre de l’ordre de 10 à 20% de personnes TPL borderline. Lorsque c’est le cas, il faut savoir que ce sont souvent les patients les plus difficiles à accompagner, où les risques d’échecs sont les plus grands. Cela peut être décourageant pour les soignants, les patients étant souvent peu enclins à suivre les recommandations.
La Thérapie Comportementale et Dialectique (TCD) aide beaucoup à l’engagement de ces patients borderline et donc à l’efficacité de cet accompagnement. Elle aide aussi plus généralement pour l’ensemble des problématiques d’addictologie. Cela renforce aussi la confiance des soignants en leur capacité de les aider.
Personnellement, je peux témoigner de très belles évolutions de patients que j’ai suivis en psychothérapie individuelle :
Par exemple, une personne dont la maman a pu participer à Connexions Familiales : pendant des années, cette personne avait des comportements suicidaires très angoissants pour ses proches. Grâce à la TCD, ce jeune homme a pu arrêter ces comportements ainsi que l’alcool. Mais sa maman craignait qu’il rechute, ce qui altérait leur relation et augmentait le risque de rechute… La formation de la maman avec Connexions Familiales a permis d’apaiser considérablement leur relation et depuis deux ans, ce patient va bien. Nous avions même pu recueillir le témoignage de la maman dans cette vidéo .
AD. Pendant longtemps, certains psychiatres ont théorisé l’exclusion familiale : ne pas parler avec la famille, se focaliser uniquement sur la relation entre le patient et son thérapeute, ce qui me semble une erreur.
Quand on ne travaille qu’avec le patient, on n’a qu’une seule version de la situation. On risque alors de se laisser embarquer dans un unique point de vue où la famille est parfois décrite comme une difficulté à combattre, un frein et non un partenaire.
Bien au contraire, l’enjeu en Thérapie Comportementale et Dialectique est de créer du lien. Et ce lien à la famille est essentiel bien que souvent chronophage. J’ai peut-être la chance à Strasbourg d’avoir un peu plus de temps pour m’en occuper que dans d’autre structures où il manque beaucoup de personnels. Mais en tous cas, dès qu’on le peut, il faut travailler avec la famille.
La famille peut être à tort perçue d’abord comme un frein, alors qu’elle est un partenaire de la démarche de soin.
L’association Connexions Familiales est très intéressante à associer dans ce cadre : par exemple, dans le cas précédent, l’angoisse d’une rechute exprimée par la maman sous forme de critiques pouvait effectivement stresser la personne TPL et provoquer la rechute redoutée. Dans le cadre de la thérapie, je ne pouvais pas passer assez de temps avec la maman pour l’entrainer à changer de comportement, malgré toute notre bonne volonté à elle et moi : il y avait bien eu quelques séances sur l’acceptation et la validation, mais cela restait insuffisant pour une bonne assimilation. Le programme Connexions Familiales lui a permis de revoir cela avec plus de temps, plus de détails, et aussi avec d’autres proches vivant des difficultés similaires. Cela a été essentiel pour rétablir solidement les liens entre elle et son fils.
Une autre situation sur laquelle je travaille actuellement pour mon mémoire, est celle d’une femme TPL qui était très dure envers son mari. Ce dernier faisait beaucoup d’efforts au quotidien et endurait malgré tout énormément de critiques culpabilisantes. Il était du coup désespéré de la situation.
J’ai reçu le couple deux fois une heure pour bien comprendre ce qui se passait : ça peut être dur pour le patient et il faut faire attention à ne pas détruire la relation entre le patient et son proche. Il faut éviter de prendre un parti ou un autre mais bien rétablir le lien entre les deux. Les proches sont souvent confrontés à des difficultés hors-norme (drogue, prostitution, suicide…) et il faut savoir comment aborder cela avec beaucoup de tact.
Ainsi, dans cette situation, il fallait à la fois faire comprendre à la patiente toutes les conséquences de son addiction avec l’alcool, l’usure de son mari face à cette situation, mais aussi reconnaître les efforts qu’elle faisait notamment dans le groupe thérapeutique qu’elle suivait, tout en travaillant l’acceptation avec le mari pour qu’il reste soutenant.
Ce fut très important de travailler avec le conjoint, afin de réconcilier les points de vue de chacun et trouver des axes thérapeutiques :
Lors du premier rendez-vous, ce fut très dur pour la patiente parce que, malgré mes validations envers elle, j’ai aussi validé son conjoint et elle a eu l’impression à ce moment-là que je faisais son procès. Dans un premier temps, cela a entraîné une rechute dans l’alcool qu’elle venait d’arrêter.
Mais lors de la séance suivante en individuel, j’ai pu lui faire comprendre qu’il ne s’agissait pas de chercher un coupable mais d’améliorer leur relation entre eux deux. Avec les séances de groupe thérapeutique, elle a pu entamer une démarche d’acceptation et de changement tout à fait positive.
Aussi, lors de la deuxième séance avec elle et son mari, un mois plus tard, le mari a pu témoigner des progrès accomplis et combien la situation s’était apaisée ; elle aussi disait combien elle sentait son mari plus soutenant : l’objectif était bien rempli !
Suite à cela, il y a eu encore quelques rendez-vous en individuel pendant 1 mois et demi. Au final, ce fut l’association entre le groupe thérapeutique suivi par la patiente et le travail avec la famille qui fut essentielle pour consolider les progrès. Depuis un an et demi, on lui envoie des questionnaires de suivi et tout va bien ! Je suis très confiant et très heureux de cette évolution.
Néanmoins, ce n’est pas toujours aussi simple que cela : j’ai le cas difficile d’une patiente d’une vingtaine d’années qui avait beaucoup rationnalisé ses troubles : drogue, automutilation, … elle considérait cela comme bien, tout le monde devait le faire puisque ça lui faisait du bien. Malgré mon travail de soignant, elle est longtemps restée sur ses positions. J’ai essayé aussi de travailler avec la famille qui était impactée, et qui ne savait pas toujours très bien comment réagir face à cette situation, ce qui est normal.
C’était difficile, je recevais d’elle des messages pleins de colère avec des photos de ses scarifications. Dans les moments de crise, elle voulait me prouver que tout ce qu’on faisait ne marchait pas, c’était assez violent. J’essayais de lui expliquer que ces crises étaient des moments très durs à traverser bien sûr, mais que cela était momentané. Elle arrivait à le comprendre quand elle sortait de la crise, mais elle l’oubliait quand elle en vivait une autre.
De son côté, la mère a participé à Connexions Familiales. Elle a ainsi appris à mieux réagir et à se protéger (conformément à la notion « d’égoïsme sain »). Et depuis deux mois, j’ai l’impression que l’on tient le bon bout. Une amélioration semble en vue…
Il y a cette dualité d’un message où il faut à la fois dire aux patients qu’ils font de leur mieux afin de valider leur souffrance et en même temps qu’ils peuvent mieux faire pour qu’ils gardent espoir dans leur capacité à s’améliorer. On est en plein dilemme dialectique pour amener les patients à évoluer.
AD. Dans ce que j’ai vu, oui, il y a vraiment des situations où on peut parler de guérison. Parmi les patients que j’ai suivis en individuel, ou des patients que j’ai rappelés pour ma thèse un an après le groupe thérapeutique, j’ai eu des personnes qui me disaient qu’elles n’avaient plus de problèmes. Donc je pense qu’on peut vraiment parler de guérison, même si cela n’arrive pas dans tous les cas.
Pour aider des patients à atteindre cette guérison, cela demande du temps, de l’énergie, de la formation, et du travail pratique auprès des patients et de leurs proches. Il faut aussi avoir des objectifs réalistes, avec des étapes intermédiaires : se focaliser sur une guérison complète peut être décourageant, le temps semble long lorsqu’on vit les épreuves de l’intérieur. Il faut respecter le temps du patient, dont l’évolution va souvent être trop lente pour nous. Il faut savoir attendre le bon moment où le patient est prêt à travailler sur certains problèmes. C’est difficile. Ce temps de mûrissement est d’abord pour les patients, mais aussi pour les proches qui doivent patienter en vivant des situations difficiles…
AD. On peut tous faire des erreurs, c’est humain, mais je pense qu’il ne faut pas laisser la peur de l’erreur nous paralyser : ce monde n’est pas parfait, et l’erreur en fait partie, même pour les meilleurs. Il faut voir les erreurs comme autant d’occasions de progresser.
Le risque d’erreur existe, mais ne doit pas nous paralyser.
Par exemple, il m’est arrivé d’envisager trop tôt un arrêt de thérapie, et cela a été dur pour la patiente : il a fallu ensuite corriger. Parfois, les patients idéalisent leurs thérapeutes, mais nous ne sommes que des personnes humaines avec nos imperfections, nos limites et on doit le rappeler.
Même si la médecine actuelle est très performante, la guérison n’est pas obligatoire.
C’est très difficile de penser cela dans notre monde médical, où les enjeux légaux sont croissants et peuvent paralyser : la médecine actuelle est tellement performante que l’on finit par considérer la guérison comme obligatoire. Dans le cas contraire, il y aurait faute. Mais ce n’est pas vrai, car nous sommes des humains tous imparfaits et différents ce qui nécessite de s’adapter à chacun : à chaque patient, et en plus – ce qui complexifie encore ! – à chaque entourage de patient.
AD. Avec plaisir ! Je suis toujours très content de transmettre mon expérience. Si ça vous intéresse, on pourra refaire un entretien dans quelques mois, afin d’évoquer les projets qui visent à améliorer la prise en charge des personnes TPL borderline. Il y a un beau dynamisme actuellement dans la francophonie !