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Cet article fait partie d’une série consacrée au GPM-A (Good Psychiatric Management pour Adolescents), qui est un traitement généraliste permettant une prise en charge efficace des adolescents souffrant du trouble borderline (TPB).
Il s’agit d’une adaptation du modèle développé pour les adultes par le Dr John Gunderson de l’hôpital de Mc Lean (Université de Harvard).
Il faut apprendre à évaluer la sécurité. Pour cela, on doit décrypter les comportements autodestructeurs et suicidaires dans le contexte de l’individu.
Il est important de disposer d’un cadre clair à l’intérieur duquel on peut prendre des décisions : les soignants peuvent ainsi s’appuyer sur leur métier et leur jugement pour décider quoi faire avec ces patients. Le but est de ne jamais perdre son sang-froid et d’être actif et non réactif.
Il faut expliquer aux patients que lorsqu’ils rencontrent des interactions stressantes avec l’un de leurs proches, ils peuvent éprouver des émotions très intenses. Des pensées terribles peuvent leur venir à l’esprit. Ils peuvent faire des choses sans penser aux conséquences comme pour soulager une pression intolérable à l’intérieur d’eux.
La plupart du temps, les patients entendent et se reconnaissent totalement dans ces explications.
Le modèle de l’hypersensibilité interpersonnelle permet
de gérer l’instabilité et les comportements autodestructeurs.
Quand il est connecté à une personne de confiance, le patient est sécurisé. Cependant, la crainte d’un rejet ou d’une disparition possible de cette figure sécurisante le hante constamment. Cet état de vigilance permanent affecte sa capacité à penser clairement. Il lui est difficile d’élaborer des stratégies. Il a du mal à comprendre la situation de manière cohérente et réaliste.
S’il perçoit une menace, il perd pied et ne se maîtrise plus. Il adopte un comportement animal. Il peut retourner sa colère contre lui-même (automutilations), contre un proche ou tout casser autour de lui. Même s’il semble complètement hors de lui, il est encore à ce moment-là très sensible au comportement et au soutien que la personne qui interagit avec lui est susceptible de lui apporter.
C’est durant ces colères intenses que se produisent les automutilations (overdose de médicaments sans intention suicidaire ou automutilations physiques intentionnelles). Les garçons ont tendance à retourner la violence contre eux tandis que les filles se coupent et se scarifient davantage. Ces comportements les aident à relâcher la pression que leur procurent des états de stress disproportionnés.
Des chercheurs allemands ont montré que les scarifications faisaient tomber la pression chez les personnes souffrant de TPB alors que c’est l’inverse chez les personnes qui ne souffrent pas de ce trouble. Ces mêmes chercheurs ont également découvert que sur le plan neurobiologique, les scarifications rétablissaient des connexions entre différentes parties du cerveau de la personne concernée.
Le problème, c’est que ces comportements entraînent des blessures physiques et font très peur à l’entourage. Or, c’est justement à ce moment-là que le patient souffrant de TPB a le plus besoin de soutien. Quand il est submergé par la colère et le stress, le patient n’est plus connecté à la réalité. Il n’a aucune idée des conséquences possibles de ses agissements et sa paranoïa est au plus haut de l’échelle.
A ce stade, ils se sentent complètement seuls et abandonnés de tous. Il est alors trop tard pour intervenir ou leur demander de collaborer. Dans un article de 1996, The borderline patient’s intolerance of aloneness: insecure attachments and therapist availability, John Gunderson explique que lorsque l’on est dépourvu du sens de soi, on a besoin des autres pour s’organiser et se contenir.
Ce comportement crée tellement de souffrance que la personne sombre littéralement dans le désespoir. Le risque suicidaire est alors à prendre très au sérieux. Quand l’entourage montre son inquiétude, son soutien, appelle la police ou les urgences, cela reconstitue du lien social. Cette interaction sociale aide les personnes à se reconnecter à la réalité. Même s’ils vivent mal l’hospitalisation ou l’intervention de la police, c’est mieux pour eux que de les laisser sombrer dans un désespoir sans fond.
Une fois la crise passée, il faut chercher à travailler avec le patient pour développer de nouvelles façons de faire face aux émotions intenses et à cette impulsivité qui le submergent en situation de stress. On doit l’aider à gérer ces comportements et à repérer les personnes en mesure de l’aider dans ces moments-là.
C’est un message compliqué pour eux. C’est un peu comme quand on dit aux diabétiques que la soif est un mécanisme d’adaptation. A moins de remédier aux causes sous-jacentes de ces manifestations, il ne sera pas possible d’aller très loin.
Du coup, ce qu’il faut faire, c’est stabiliser l’univers psychologique du patient afin qu’il soit plus réaliste et fiable.
Pour évaluer la dangerosité du comportement autodestructeur, on peut s’appuyer sur les statistiques. Pour les adolescents, c’est plus difficile que pour les adultes. En effet, on manque généralement d’antécédents psychiatriques permettant de calculer les probabilités d’un passage à l’acte. Les adolescents sont plus impulsifs. Ils sont également plus susceptibles de prendre des risques.
Chez les TPB, le suicide est la 2è cause de décès. Selon certaines études, le suicide touche 1 personne sur 10. Dans des études plus récentes qui ont suivi des TPB pendant 20 ans, le pourcentage est plutôt de 3- 5%. Mais ces études-là, réalisées par des instituts comme Harvard, ne traitent pas toujours avec des patients typiques. En général, les statistiques réellement en prise directe avec la réalité du terrain tournent toujours autour de 10%. Le taux de suicide chez ce type de patients est donc très élevé. Il est toutefois très important de se dire que neuf adolescents sur dix ne mourront pas et que notre travail est de repérer les adolescents les plus à risque.
Parce que tous les TPB sont susceptibles d’avoir un comportement dangereux, il est important de connaître les caractéristiques spécifiques de ceux qui sont susceptibles de se suicider. On sait que le TPB augmente de 50% le risque de suicide par rapport à une personne qui ne souffre pas de problèmes psychiatriques. Quand un jeune commence à avoir des antécédents psychiatriques, des études sur l’adolescence montrent que le temps de réflexion moyen entre un projet d’automutilation et l’acte réel est d’environ 6 mois.
Ces mêmes études montrent qu’il peut s’écouler de 6 à 12 mois entre le moment où le jeune envisage de se suicider et le moment où il passe réellement à l’acte. Autrement dit, même si automutilations et suicides ne sont pas véritablement comparables, les deux types de comportements s’étalent sur une période de 1 à 2 ans s’il n’y a pas d’intervention appropriée. 50% des jeunes avec TPB feront une seule TS et ne recommenceront plus jamais. Cependant, le pourcentage restant tentera plus d’une fois et chaque nouvelle tentative augmentera le risque d’engrenage.
Même si les automutilations, les scarifications, les brûlures ou blessures auto-infligées ne sont pas immédiatement dangereuses et peuvent se stabiliser, on sait aussi que ces comportements augmentent considérablement le risque de suicide. Les études montrent qu’il y a des facteurs qui augmentent le risque de suicide et d’autres qui protègent les individus contre ce risque.
Sentiment d’appartenance, sentiment de ne pas être un fardeau pour les autres, et la peur des blessures corporelles sont des facteurs protecteurs.
L’automutilation habitue les jeunes aux blessures auto-infligées et cela tend également à faire tomber la barrière au suicide. C’est donc une donnée à garder constamment à l’esprit. Dans le GPM, les cliniciens cherchent à évaluer le niveau de dangerosité de chaque épisode et on verra comment plus tard.
Les personnes suicidaires sont ambivalentes : il y a une partie en elles qui veut mourir, et une autre qui le regrettera plus tard. Cette ambivalence transparaît bien dans de nombreux témoignages de patients :
« Si personne n’essaie de me sauver, alors je préfère mourir. »
La pression sur l’entourage et les soignants est donc énorme.
Les adolescents sont plus impulsifs qu’ils ne le seront plus tard…. Les jeunes sont moins bien équipés pour comprendre leur fonctionnement. Quand on demande à un adolescent pourquoi il a voulu se suicider par overdose ou autre, sa réponse ne fournit généralement aucune matière à partir de laquelle on peut travailler :
« Je voulais juste prendre des pilules, alors je l’ai fait… »
Le travail des soignants est de les aider à comprendre leur comportement.
Les automutilations sont le facteur prédictif le plus fort des tentatives de suicide. Elles se produisent dans les états de grande détresse mentale ou lors de dissociations. 12 ans est l’âge moyen des premières automutilations. 33% des adultes souffrant de TPB déclarent avoir commencé à s’automutiler avant l’âge de 13 ans. L’évolution naturelle permet de prédire la rémission spontanée. Certains jeunes, en particulier ceux qui ont des problèmes de santé mentale, peuvent poursuivre ces comportements jusqu’à l’âge adulte.
Les automutilations sont associées à des anomalies dans des zones du cerveau impliquées dans l’hyposensibilité à la douleur.
L’insensibilité à la douleur contribue à un risque de suicide accru. D’où l’intérêt d’intervenir tôt, car plus les symptômes diminuent, plus la sensibilité à la douleur revient à la normale et réduit le risque de suicide. Les adolescents répondront ainsi mieux aux interactions sociales qui leur apprennent comment se comporter en société.
L’âge moyen des premières automutilations (12-13 ans) est aussi l’âge où commencent toutes sortes d’expérimentations. Les parents surveillent moins leurs enfants. Les ados commencent à se retirer dans leur chambre et à coller des écriteaux « ne pas déranger » sur la porte. Les automutilations font partie de ces expérimentations. En général, la très vive préoccupation des parents vis-à-vis des automutilations suffit à rassurer le jeune qu’il y a des gens qui l’aiment et pour qui il compte. Cela permet de renouer le dialogue sur ce qui est en train de se passer.
Ce comportement s’inscrit dans un contexte mais pas seulement. Des facteurs biologiques et neurocognitifs montrent qu’un ado souffrant d’un TPB traite ces expériences de manière très différente. Certains diront :
« Je préfère la douleur physique à la douleur émotionnelle. »
D’autres diront :
« Je ne sens plus rien : du coup, me faire mal m’aide à sortir de la dissociation. »
On sait aussi que les personnes avec un TPB sont moins sensibles à la douleur physique, notamment celle qui est associée à une exposition au feu. Également intéressant : lorsque les symptômes TPB diminuent, la sensibilité à la douleur augmente.
Cette impression qu’ont les parents et les soignants de marcher en permanence sur des œufs pour gérer les crises constitue, selon Lois Choi-Kain, une véritable compétence.
Extrait retranscrit à partir de la formation du 21 avril 2023 sur le GPM-A.
Lien vers la vidéo de la séquence animée par le Pr Lois Choi-Kain