GPM-A : pharmacothérapie et comorbidités, les médicaments sont-ils efficaces et quel trouble traiter en premier ?

10 Sep 2023 | Colloque

Cet article fait partie d’une série consacrée au GPM-A (Good Psychiatric Management pour Adolescents), qui est un traitement généraliste permettant une prise en charge efficace des adolescents souffrant du trouble borderline (TPB).

Il s’agit d’une adaptation du modèle développé pour les adultes par le Dr John Gunderson de l’hôpital de Mc Lean (Université de Harvard).


Avant de parler de la pharmacothérapie chez l’adolescent, il faut souligner que :

  1. les essais randomisés ne sont menés que sur des adultes, et
  2. très peu de ces essais ont été réalisés sur des patients souffrant de TPB.

Efficacité des médicaments chez les adultes souffrant de TPB

Aux Etats-Unis, aucun médicament n’a encore été approuvé par la Food & Drug administration[1]. Au mieux, l’efficacité des médicaments est moyenne. Il ne faut donc pas s’attendre à des miracles.

On constate d’ailleurs que le nombre de médicaments prescrits est inversement proportionnel à l’amélioration des patients. 90% des adultes en prennent au moins un, et 50% en prennent au moins trois. C’est considérable quand on sait que les patients souffrant de TPB sont plus susceptibles que les autres patients d’avoir des réactions indésirables aux médicaments.

Autre point important : les recherches financées par les laboratoires pharmaceutiques excluent très souvent les patients borderline, par crainte des comportements violents et des tentatives de suicide. Cela ne donne pas un tableau très attrayant de la pharmacologie chez l’adulte.

Efficacité des médicaments chez les adolescents souffrant de TPB

Chez les adolescents, c’est pire. Les médicaments qu’on leur donne n’ont jamais été testés sur des personnes de leur âge avant prescription (les tests étant interdits en-dessous d’un certain âge).

Comme chez les adultes, on constate que les effets secondaires augmentent avec le nombre de médicaments. À une époque, certains soignants se sont même demandé si les anti-dépresseurs n’augmentaient pas les tendances suicidaires chez les enfants. Ce qui est sûr, c’est que l’efficacité des anti-dépresseurs est plus faible chez les enfants que chez les adultes.

Pourtant plus de 40% des jeunes de 15 à 17 ans souffrant d’un TPB prennent plus de 3 médicaments contre 0 dans le groupe témoin. Au vu de l’efficacité discutable des traitements médicamenteux et du peu d’études concluantes sur le sujet, on est en droit de s’interroger.  Selon une étude parue il y a environ 2 ans, il n’existe à l’heure actuelle aucun médicament pour traiter seul le TPB.

Pourquoi prescrit-on des médicaments, alors ?

Comme toujours, il y a ce qu’on sait et la réalité du terrain. Aujourd’hui, on manque de thérapeutes et de moyens autres que les médicaments pour traiter. Par conséquent, lorsqu’il faut se résoudre à prescrire des médicaments, faute d’autres moyens thérapeutiques, il convient de :

  • tempérer les attentes vis-à-vis de l’efficacité des médicaments pour éviter des déceptions ;
  • insister sur le fait que les effets seront difficiles à évaluer ;
  • collaborer avec les parents et l’adolescent·e, notamment pour suivre les effets positifs, les effets secondaires et globalement tout ce qui va tourner autour des médicaments ;
  • utiliser les médicaments de manière très responsable, et faire très attention aux addictions médicamenteuses (benzodiazépines) ;
  • prescrire uniquement quand le patient traverse une crise trop sévère ; NE PAS PRESCRIRE quand le patient n’en veut pas ;
  • créer une alliance – tester un médicament avec la famille et le patient ; la prescription médicamenteuse se traite en collaboration. eLes connaissances sont limitées. Il faut être honnête avec ça.

Exemple de ce que l’on peut dire au patient en matière de gestion médicamenteuse :

«  J’aimerais que vous essayiez ce médicament. Mais il se peut qu’il ne vous aide pas. Je compte donc sur vous pour m’aider à évaluer son efficacité. Vous devez vous renseigner sur l’utilisation des médicaments dans le cadre d’un TPB et me dire si vous constatez une amélioration des symptômes ou pas. »

En parlant de cette manière, on inclut le patient et on change de perspective.

Principes du GPM pour la prescription des médicaments

  • créer une alliance
  • éviter une position dichotomique
  • choisir les médicaments appropriés
  • traiter la comorbidité

Le traitement médicamenteux s’inscrit dans une psychoéducation. En effet, même si certains ne sont pas d’accord, le TPB est un trouble lié à une hypersensibilité interpersonnelle. Ce n’est pas un trouble bipolaire. Il est important de le dire, car s’agissant d’un trouble de la relation, il nécessitera une thérapie et non une simple prescription de médicaments. Ceux-ci pourront apporter une aide complémentaire, mais il faut que le patient sache que les connaissances sur leurs effets sont très limitées.

Les médicaments peuvent être utiles à tester mais, en l’absence de détresse grave, ce n’est pas certain. En cas de détresse grave, et si l’adolescent est d’accord, on cherche le médicament le plus adapté. S’il ne veut pas, on ne pousse pas. Le soignant doit se mettre d’accord avec le patient et les parents sur les symptômes à cibler puis collaborer avec eux pour surveiller les effets de ces médicaments.

Et enfin, on l’a déjà dit, il faut être actif, pas réactif. Si le patient est déprimé mais qu’il ne veut pas prendre de médicament, on peut l’encourager à le faire mais sans insister.

Si l’on résume, on peut distinguer deux situations :

1ère situation : on est face à une détresse grave

Si l’adolescent ne veut pas de médicaments, on peut l’encourager à essayer, mais il ne faut surtout pas le pousser à en prendre. S’il en veut, on lui dit :

« OK, on va surveiller, collaborer, trouver ensemble le médicament le plus adapté ».

S’il ne réagit pas au médicament, il faut d’abord réduire la dose avant d’essayer éventuellement un nouveau médicament.

2è situation : pas de détresse sévère :

On évite la prescription mais on reste ouvert. On en discute avec les parents et le patient. On n’annonce pas d’emblée que ça ne servira à rien.

Qu’est-ce qu’on fait si ça ne marche pas ?

Plus on prescrit, moins ça marche. Il faut en parler avec le patient et ne surtout pas ajouter les médicaments les uns après les autres sans connaître les interactions possibles.

Résumé du GPM concernant la psychopharmacologie

  • Anti-dépresseurs : efficacité modeste, notamment pour la dépression.
  • Benzodiazépines : risque de dépendance, désinhibition possible. Contre-indication relativement forte.
  • Antipsychotiques : l’efficacité des antipsychotiques est celle qui est la plus « large » mais il y a des effets secondaires. Ils sont à éviter chez les patients qui présentent des risques élevés de troubles alimentaires. Pour les benzodiazépines, qui sont très souvent prescrits, une seule étude a évalué son efficacité dans les années 80-90. L’alprazolam (xanax) aggrave les symptômes mais est très prescrit.
  • Stabilisateurs de l’humeur : efficacité limitée (un essai contrôlé a conclu à un effet placebo).

Scénarios prévisibles

  • L’adolescent ne veut pas prendre de médicaments.
  • L’adolescent craint que s’il arrête les médicaments, il risque de ne jamais sortir de l’hôpital ; il imagine que son pourvoyeur de soins l’abandonnera ou ne pourra pas réguler son humeur.
  • Les adolescents peuvent être plus sensibles à certains effets secondaires des médicaments.
  • Les parents prennent des décisions cliniques plutôt que de collaborer avec l’adolescent et le médecin.
  • L’adolescent se sent contrôlé :

« Vous allez beaucoup m’aider à surveiller les effets de ces médicaments. Nous allons collaborer pour voir ce qui fonctionne le mieux. »

S’il n’y a pas de collaboration, ça ne marchera jamais. Il faut expliquer pourquoi on donne un médicament et pourquoi on l’arrête. Il faut être clair sur le bénéfice que l’on peut en retirer, comme sur le risque.

Il faut également inclure les parents et les informer sur les risques pharmacologiques.

Quelle priorité donner aux comorbidités ?

Il faut donner la priorité à la comorbidité quand elle empêche toute participation active du patient. Exemples : manie, usage de substances, anorexie.

Il faut donner la priorité au TPB lorsque la comorbidité a peu de chances de disparaître si le trouble de la personnalité ne s’améliore pas.
Exemples : dépression, anxiété, phobie sociale, bipolarité de type II, boulimie…

Il faut stabiliser le TPB avant d’aborder la comorbidité pour augmenter la capacité du patient à tolérer l’exposition en thérapie.
Exemples : trouble panique, PTSD, TOC…

Dans le trouble narcissique, le GPM fait moins de mal que les médicaments.  Et il convient de traiter le trauma complexe avant de pouvoir créer une alliance.

En ce qui concerne l’abus de substances, le TPB peut souvent conduire à la consommation.

LE TPB est secondaire s’il existe un trouble bipolaire, ou un PTSD.

Trauma et borderline sont souvent très entrelacés. Il est possible de traiter les deux simultanément. Certains disent même que dans le cadre d’un trauma précoce, très complexe, la méfiance est telle dans la relation que l’on ne peut pas créer une alliance réelle et professionnelle.

Dans ce cas, il faut commencer par traiter le trauma. Pour le TDAH, le patient doit pouvoir rester assis pendant 1 heure, et participer à des thérapies de groupe. Le traitement du TPL va nécessiter de l’attention, un contrôle des impulsions.

Les questions à se poser face à un patient avec un trouble bipolaire de type II

Pour certains soignants, toutes les fluctuations d’humeur relèvent d’un trouble de l’humeur. Du coup, face à un patient qui a un trouble bipolaire de type II, mais qui n’a jamais été diagnostiqué hypomane, on peut se demander si le diagnostic est correct.

Avec le trouble bipolaire de type I, la question se pose beaucoup moins. Face à la bipolarité de type II, il faut d’autant plus s’interroger qu’il existe des critères de différentiation très nets entre les deux et aussi parce que les deux peuvent coexister. Un borderline peut aussi être bipolaire. Et la réponse va avoir de grosses conséquences sur le plan pharmacologique, car pour la bipolarité on peut prescrire des thymorégulateurs alors que cela ne sera pas efficace pour le TPB.

Pour finir, avec les troubles oppositionnels et les troubles des conduites, il faut se demander si des comorbidités sont présentes et si oui, cela va complexifier la prise en charge.

Médicaments et thérapie : qui fait quoi ?

Les psychiatres prescripteurs doivent-ils confier la thérapie à quelqu’un d’autre ?

Les autres professionnels de la santé mentale doivent-ils recruter un psychiatre pour prescrire des médicaments ?

Dans la réalité, les psychiatres et les psychothérapeutes sont peu nombreux. Il faut donc être pragmatique, et la manière de faire dépendra de l’état de gravité. Si les troubles de l’humeur sont très importants, il faudra s’interroger sur la marche à suivre, notamment sur le plan pharmacologique. Dans ce cas, une psychothérapie ne suffira pas. Pour autant, traiter les troubles uniquement avec des médicaments ne sera pas non plus la solution.

Pour résumer, il faut essayer de trouver la solution la plus aidante. L’objectif est de trouver un équilibre entre les effets positifs et les effets secondaires, sans oublier de remettre en question régulièrement les médicaments que l’on peut être amené à prescrire.

[1] Autorité de contrôle des produits pharmaceutiques et alimentaires.

Extrait retranscrit à partir de la formation du 21 avril 2023 sur le GPM-A. Lien vers la vidéo de la séquence animée par le Dr Martin Blay