GPM-A : Qu’est-ce que la multifocalité et à quoi ça sert ?

10 Sep 2023 | Colloque

Cet article fait partie d’une série consacrée au GPM-A (Good Psychiatric Management pour Adolescents), qui est un traitement généraliste permettant une prise en charge efficace des adolescents souffrant du trouble borderline (TPB).

Il s’agit d’une adaptation du modèle développé pour les adultes par le Dr John Gunderson de l’hôpital de Mc Lean (Université de Harvard).


Dès qu’il existe plus de deux modalités de traitement, on parle de multifocalité. La prise en charge du trouble de la personnalité borderline amène les soignants à travailler à plusieurs. Ce besoin de faire ensemble doit être pensé dans le cadre de la multifocalité.

Avantages d’un traitement multifocal

  1. Meilleure observance des médicaments.
  2. Diminution de l’abandon scolaire.
  3. Moins de menaces de suicides et de comportements d’automutilation.
  4. Une charge moins lourde pour les soignants (à condition qu’ils se soutiennent et travaillent dans la même direction pour atteindre un objectif convenu ensemble).

Les clivages de la personnalité borderline se transmettent assez facilement aux prises en charge. Les conflits et désaccords entre intervenants vis-à-vis des marches à suivre sont monnaie courante. Il est absolument nécessaire de rassembler tout ce que le patient confie aux différents soignants. C’est particulièrement le cas durant les hospitalisations où les patients interagissent avec différents interlocuteurs. Rassembler tous ces éléments éparpillés dans la tête des soignants permet de renvoyer au patient un aspect unifié de sa personnalité. D’où l’intérêt des synthèses de réunion dans les hôpitaux, CMP, etc. En ambulatoire, cela demande plus d’énergie, de courriers, de mails, mais c’est de l’énergie qui est absolument nécessaire et efficace.

La multiplicité des traitements, justifiés par les différents symptômes, est-elle nuisible ?

Pour fonctionner à plusieurs, il faut clarifier les rôles de chacun et se parler

Qui gère les crises ? Qui prend les appels téléphoniques de la famille ?  Dans la plupart des cas, ce rôle incombera au psychiatre référent : les appels seront très fréquents durant les crises. Il y a des moments où il faut parler beaucoup. Dès que la situation se stabilise, les appels se raréfient.

Les échanges entre professionnels sont régis par des règles de priorité  : on ne doit partager les informations très personnelles que si elles apportent un plus dans la compréhension de la situation générale. En revanche, le partage des informations relatives à la prise en charge ou à la sécurité du patient est indispensable.

Analyser les disqualifications

Que faire quand le patient prend un soignant en grippe  ?

Deux positions extrêmes sont à éviter :

  1. se serrer les coudes entre soignants et refuser d’écouter la parole du patient ;
  2. abonder dans le sens du patient et dénigrer le soignant concerné.

Comme souvent avec le trouble de la personnalité borderline, il faut trouver un juste milieu. Rien n’est jamais tout noir ou tout blanc. Il est important de comprendre ce qui s’est passé dans le détail. L’équipe peut, bien sûr, évoquer le problème avec le soignant incriminé. Mais elle doit surtout encourager le patient à se plaindre directement auprès du soignant en question.

Ce que la thérapie de groupe apporte au patient

  • Le groupe favorise une meilleure acceptation de soi : « je ne suis pas le seul à avoir ce type de problèmes ». Le réinvestissement de soi peut passer par le réinvestissement des pairs.
  • Il lui fait découvrir différentes manières de faire face à des problèmes relationnels liés à son hypersensibilité ou à d’autres aspects.
  • Le groupe permet d’expérimenter les réactions d’autrui dans un cadre régulé par des tiers.
  • La présence de tiers permet d’avoir du feedback et des suggestions pour réagir autrement.
  • Observer les autres, c’est les voir exprimer des sentiments que soi-même en tant que patient, il n’est pas toujours évident d’exprimer. Cela permet ainsi d’accéder à des zones difficiles  grâce aux autres.

Les groupes sont des lieux de progression des compétences sociales importants :  que ce soit au niveau de l’écoute, du partage, de la gestion des situations de crise ou de la coopération.

C’est aussi un lieu où il est possible de parler de soi sans risque de rejet. Cela diminue la honte et l’isolement. On peut dire des choses difficiles dans un cadre constructif et respectueux. Ce sont également des espaces où l’on apprend à se respecter soi, à s’affirmer et à prendre soin de soi. Dans ces groupes-là, la fonction des adultes et des pairs c’est aussi de pouvoir augmenter la conscience de soi et de l’autre et de donner des réponses alternatives.

Les groupes peuvent être utiles pour le changement parce que : « l’apprentissage social est la principale composante du changement thérapeutique (Fonagy et al 2015) ». Les groupes en sont un bon exemple. Que l’on parle de groupes structurés (groupes de parole, thérapie comportementale dialectique (TCD) ou basée sur la mentalisation (MBT)) ou de groupes soignants-soignés durant les hospitalisations.

La participation à des groupes réguliers pour des patients souffrant du trouble borderline (TPB) va donner des résultats tout aussi efficients que des prises en charge individuelles, que ce soit du côté de la thérapie comportementale dialectique ou de la thérapie basée sur la mentalisation.

Type de groupe TPB Principaux objectifs du groupe
Auto-évaluation Adaptation aux situations, résolution de problèmes
Formation aux techniques de la TCD Régulation des émotions, contrôle des impulsions, agentivité
Mentalisation (MBT) Conscience de soi et d’autrui, confiance, feedback
Interpersonnel Dévoilement de soi, affirmation de soi, gestion de la colère

Dans les différents groupes, selon le type de thérapie (cf. colonne de gauche), les groupes vont avoir une spécificité (colonne de droite). Dans la TCD, on sera plus centrés sur la régulation des émotions…

La thérapie de groupe formelle n’est pas toujours utile…

Efficacité inégale pour les adolescents, attrition importante

Pour les adolescents, les données sont encore à développer car les abandons en cours de route sont fréquents. C’est parfois compliqué de demander aux adolescents une assiduité régulière en ambulatoire, (ça l’est moins pour les adultes). Pour éviter la contagion des troubles comportementaux, on peut aussi être amenés à réduire les effectifs, la tranche d’âge ou bien encore il peut être intéressant, notamment en hospitalisation, de mélanger les patients souffrant du trouble borderline avec des patients qui ont d’autres symptômes.

Quid des options informelles ? Les groupes, c’est aussi à l’extérieur de l’hôpital

Ce que les groupes extrascolaires ajoutent au traitement

  • Apprentissage social, nouvelles amitiés fondées sur des intérêts communs
  • Bien-être, meilleure santé, diminution des symptômes dépressifs,
  • Formation de l’identité, estime de soi, poursuite d’objectifs
  • Moins de comportements perturbateurs, attitudes plus positives à l’égard de l’école
  • Exposition : s’entraîner à travailler sur la sensibilité au rejet

Les groupes extrascolaires sont très importants pour les apprentissages sociaux des adolescents.  Les amitiés fondées sur des intérêts communs apportent énormément aux jeunes et il est important d’en parler au cours de la thérapie. Ces activités vont avoir des effets positifs sur le bien-être et les symptômes dépressifs. Elles vont contribuer aussi à la formation de l’identité, renforcer l’estime de soi, aider à se fixer des objectifs et à les atteindre. Ces situations vont permettre de diminuer un petit peu les comportements perturbateurs, et encourager des attitudes plus positives, de gagner du terrain par rapport aux actes autodestructeurs. Il y a un moment où on sentira que c’est peut-être encore trop tôt dans la prise en charge. Si le patient, malgré ses symptômes, continue de s’investir dans des activités, il est important de se focaliser dessus. Il faut également travailler sur la sensibilité au rejet.

Intérêt des interventions auprès des familles

Le TPL et un trouble grave et non pas simplement le symptôme d’un problème familial

La prise en charge des familles est fondamentale. Le TPL et un trouble grave et non pas simplement le symptôme d’un problème familial .Il va être intéressant de voir comment le TPB résonne dans la famille, à la fois en termes de soutien, compréhension et stratégie orientée vers l’organisation de solutions pour gérer les symptômes. Un élément central va être de pouvoir gérer la culpabilité. Les situations sont très variées mais souvent les patients TPB ont une culpabilité importante et les parents et les soignants aussi car dans cette relation qui est faite de bcp de dépendance, la culpabilité est très présente.

Les « mauvais parents » sont principalement des parents mal informés ou en difficulté : ils ne sont pas malveillants

Il est important de rassurer les personnes : chacun fait de son mieux et comme il peut. S’il y a des abus, il faut quand même pouvoir les identifier, s’appuyer sur des ressources pour les arrêter. Il faut pouvoir travailler aussi sur les autres aspects, càd les ressources de la famille. Dans tous les cas, on va travailler avec tout le monde (famille et patients) le poids de l’histoire familiale et des symptômes , mais en avançant avec les peurs, la crainte de renforcer les symptômes, le sentiment d’aliénation, l’isolement. Il faut aussi rappeler aux familles qu’il est important de se polariser sur des choses positives et de rester connectées à des sources de plaisir.

Les familles portent un lourd fardeau : peur, inquiétude, ressentiment, aliénation et isolement social

Dans les hospitalisations, on peut constater souvent que tout le monde se polarise sur le symptôme suicidaire dans un premier temps, mais il faut ensuite essayer de voir comment faire pour que les relations ne se réduisent pas à cette dimension-là et puissent rester connectées à d’autres aspects plus sécures et plus légers.  Le soutien de la famille est vraiment nécessaire pour avancer dans la prise en charge. Pour apaiser la situation, il est important de divulguer l’information. La psychoéducation contribue à réduire la colère et les critiques nuisibles, le stress. Elle donne de l’espoir quant à l’évolution de ce trouble. C’est très important de dire aux parents qu’il y a des perspectives et des raisons d’espérer une amélioration.

  • Le soutien de la famille est souvent nécessaire pour réussir.
  • Nécessite un enseignement sur l’étiologie (causes), traitements, pronostic et évolution des troubles.
  • La psychoéducation peut diminuer la colère et les critiques nuisibles. Elle peut aussi réduire le stress et donner de l’espoir.
  • De meilleures stratégies de gestion peuvent réduire la charge et l’isolement des familles.

Il existe une hiérarchie dans l’offre de psychoéducation

  1. Psychoéducation : porte initialement sur le trouble. Elle devrait être proposée à tous les membres de la famille (adaptée pour les frères et sœurs). ¨Pour l’adaptation aux enfants, voir : bpdresourcecenter.org
  2. Conseil : observer les interactions familiales, conseiller, aider à résoudre les problèmes (les familles apprécient généralement ces séances).
  3. Groupes de soutien : groupes de thérapies multifamiliales (connexions familiales : https://tpl-familles.org/)
  4. Sessions conjointes (patients et soignants)
  5. Thérapie de couple :

Le couple parental, quand il est très en difficulté, va apparaître comme un sujet dans la prise en charge familiale. Il peut être un des éléments abordés au cours de la définition des objectifs. Le référent prend en charge la dynamique de couple, à moins que le conflit parental ne devienne le principal centre d’intérêt. Dans ce cas, un travail de couple séparé peut être nécessaire. Utilisez le travail en couple pour réduire les séparations et le stress à la maison fait appel à la collaboration.

  1. Médiation :

Un conseil juridique, une aide éducative peuvent être nécessaire pour établir des directives de coparentalité qui soutiennent le cadre du traitement.

Dans les situations les plus problématiques et dans lesquelles la communication peut être extrêmement difficile, on peut envisager une médiation par le biais d’un conseil juridique ou d’une aide éducative. Parfois dans les situations les plus sévères, on travaille aussi sur les traumas.

Pas toujours évident de savoir si l’on doit voir les parents séparément des ados

A la limite, c’est parfois plus évident quand les conflits sont très importants, car dans ce cas, on n’a pas le choix. La séparation est nécessaire, du moins au début. IL faut parler avec le jeune pour décider avec lui de ce qui peut être dit aux parents ou pas, jusqu’à un apaisement des relations et la possibilité de pouvoir réunir la famille et le jeune dans un même espace.

  1. Thérapie familiale :

On en prescrit beaucoup mais ce n’est pas toujours possible : il faut éviter les ruptures ou séparations. La psychoéducation est réservée aux familles capables de maîtriser leurs accès de colère et de discuter des conflits sans interrompre les autres. Les parents doivent être très solides pour supporter et reconnaître les critiques réalistes de leurs enfants. Ça leur demande des ressources qui ne sont pas toujours présentes et donc, là aussi, il faudra s’adapter et faire avec les ressources disponibles.

La place de la fratrie

Les parents peuvent avoir du mal à accepter que d’autres enfants ont également besoin d’aide. Il est souhaitable de proposer de la psychoéducation sur l’impact du trouble sur les frères et sœurs. De nombreux frères et sœurs sont résilients, mais beaucoup d’entre eux expriment une grande détresse face aux difficultés de leur frère ou de leur sœur. Les membres de la famille des adolescents atteints du trouble borderline sont plus susceptibles de souffrir de troubles de l’humeur, de troubles anxieux et trouble du déficit de l’attention avec/sans hyperactivité (TDAH).

Directives pour les parents (un exemple)

Dire aux parents que les crises passent et que les symptômes diminuent avec le temps est rassurant pour eux. Rappeler aussi que le conflit c’est la vie et que c’est seulement les extrêmes (absence de conflit ou conflit d’une grande violence) qui posent problème et doivent être questionnés.

  • Le rétablissement prend du temps. Les crises se résolvent.
  • Conflits et désaccords sont normaux. C’est leur caractère inexistant ou extrême qui est remis en question.
  • N’ignorez pas les menaces d’autodestruction. Exprimes votre inquiétude. Discutez avec des professionnels.
  • Maintenez autant que possible les routines familiales. Ne renoncez pas aux bons moments et ne vous éloignez pas de vos amis.
  • Ne soyez pas sur la défensive face aux critiques. Même si elles sont injustes. Acceptez d’être blessé. Dites-en peu.

Par rapport aux critiques, il est important de montrer au patient que ce qui sort de lui ne détruit pas l’autre et que l’autre va survivre à ça. C’est important pour les parents d’acquérir de compétences pour survivre à l’attaque et à la destructivité. On peut accepter d’être blessé et ce n’est pas pour autant que l’on va disparaître.

Raisons d’être des interventions à l’école

Les adolescents passent une grande partie de leur vie à l’école. Il faut les rencontrer là où ils sont et là où ils risquent d’avoir des difficultés. Être en lien avec eux à l’école va leur permettre d’éviter les hospitalisations. Plus on focalise sur leur environnement immédiat et leur mode de vie, plus on va favoriser les ressources de ce côté-là. En tout cas, on va les rendre visibles si elles sont déjà là. On peut par exemple communiquer sur le cadre du traitement GPM avec les prestataires de services scolaires (infirmière, médecin scolaires, CPE, etc.). Il faut interagir avec la famille pour changer le climat au sein de la famille et déjouer les pièges qui entretiennent les difficultés :

  • fixer des limites à la colère ;
  • voir les parents séparément et les aider à revoir leur rôle ;
  • aider un adolescent présentant un trouble de la personnalité borderline à voir les avantages de l’implication des parents ;
  • psychoéducation ;
  • tout le monde doit y mettre du sien, petit pas après petit pas. Il faut valider les efforts et les progrès, même petits ;
  • bien-être et interactions familiales sont liés. Des outils de validation efficaces peuvent aider à réduire la détresse des familles et des proches ;
  • admettre que la situation, les sentiments et les opinions de l’autre existent et les respecter.
  • Il est important de communiquer clairement sur ce que l’on comprend de l’expérience et du ressenti de l’autre. L’exprimer avec empathie puis expliquer ses propres sentiments :

« Moi aussi j’ai peur, mais tu sais que cet objectif est important. »

Validation et ses conséquences

  • Valider le besoin par rapport au contexte
  • Voir l’émotion primaire sous-jacente, la peur derrière la colère.
  • Trouver un compromis.
  • Faire des pauses dans le traitement.
  • Permettre des interruptions en fonction des événements.
  • Après le traitement, proposer des séances de rappel lors de périodes de stress élevées.
  • Mettre en place des suivis réguliers une à deux fois par an

Le patient a besoin de savoir que le soignant sera disponible en cas de besoin. La peur de l’abandon diminue avec l’intolérance à la solitude.

Extrait retranscrit à partir de la formation sur le GPM-A du 21 avril 2023.

Lien vers la vidéo de la séquence animée par le Dr Robin