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Résumé d’une étude systématique sur les hallucinations acoustico-verbales (HAV) dans le trouble borderline
Nous résumons ci-après en français, les points saillants d’une étude systématique publiée en anglais le 31 juillet 2018, intitulée Auditory Verbal Hallucinations in Borderline Personality Disorder and the Efficacy of Antipyschotics: A Systematic Review by Christina W Slotema, Jan Dirk Blom, Marieke B. A. Niemantsverdriert and Iris E.C. Sommer.
L’étude s’articule autour des 4 questions suivantes :
Pour les personnes souffrant du trouble borderline :
- quelle est la prévalence des hallucinations acoustico-verbales (HAV) ?
- quelles sont les caractéristiques phénoménologiques et la gravité des HAV ?
- quelle est le lien entre les HAV, les troubles comorbides et les traumatismes de l’enfance ?
- quelle est l’efficacité du traitement des symptômes psychotiques ?
Prévalence des HAV chez les patients atteints du trouble borderline
Sur 569 études* traitant des hallucinations acoustico-verbales et/ou de l’utilisation d’antipsychotiques chez des patients souffrant de TPL (voir Figure 1 en lien), les auteurs de l’étude systématique en ont retenu 36 :
- 15 sur les HAV (677 patients)
- et 21 sur l’efficacité des médicaments antipsychotiques chez les patients borderline souffrant de HAV (586 patients).
Sur les 15 études traitant de HAV chez les patients diagnostiqués borderline, 6 rapportent des taux de prévalence d’hallucinations auditives et de HAV chez 21 à 46% des patients, avec une prévalence moyenne pondérée des HAV de 25%.
A quelques exceptions près, ces 15 études concernaient des patients externes.
La prévalence ponctuelle moyenne pondérée des HAV chez les patients externes est de 24%.
Dans deux échantillons de patients comportant jusqu’à 37 patients hospitalisés, la prévalence des hallucinations auditives varie de 21 à 38%, avec une prévalence moyenne pondérée de 27%. La prévalence à vie des hallucinations auditives est de 50%.
Phénoménologie et gravité des HAV chez les patients atteints du trouble borderline
Toujours d’après les 15 études retenues, la fréquence moyenne des HAV chez les personnes atteintes de TPL varie de une fois par jour à une fois par heure, chaque épisode durant plusieurs minutes ou plus. L’apparition moyenne des HAV peut remonter jusqu’à 18 ans auparavant. Près de la moitié des patients disent entendre plus d’une voix, parlant à la deuxième personne et, parfois, à la troisième personne. 61% des patients assimilent ces voix à des « commentaires » et 40% à des « dialogues ». Pour 56% d’entre eux, il s’agit d’hallucinations impératives. Le contrôle sur les voix est pratiquement absent. Quatre études décrivant sept patients ambulatoires et neuf patients hospitalisés rapportent que 75% des personnes concernées parlent de voix qui les critiquent, tandis que 50% entendent des voix qui les enjoignent à se faire du mal. La durée des épisodes des HAV varie de quelques jours à plusieurs années. Les voix sont présentes pendant les périodes de stress.
Contrôlabilité
Les individus souffrant d’hallucinations sans trouble psychiatrique contrôlent bien mieux leurs voix que les patients souffrant à la fois du trouble de la personnalité limite et d’hallucinations acoustico-verbales.
Caractéristiques phénoménologiques des HAV
Au niveau des caractéristiques phénoménologiques des HAV, aucune différence n’a été trouvée entre les personnes souffrant de TPL et les personnes souffrant de schizophrénie. Le contenu des voix dans le TPL tend à être négatif et critique et la détresse qui en découle est égale ou même supérieure à celle que ressentent les patients souffrant de schizophrénie.
Croyances sur l’intention malveillante des voix
En ce qui concerne les croyances sur le pouvoir et l’intention malveillante dominante de ces voix, les études ne montrent aucune différence substantielle entre les patients souffrant de TPL, de schizophrénie ou des deux troubles à la fois. Dans tous les cas, les scores sur ces items sont élevés. La majorité d’un échantillon de 38 patients souffrant de TPL avec HAV ont évalué leurs voix comme malveillantes et omnipotentes, ainsi que d’un rang social supérieur au leur.
Symptômes psychotiques comorbides
Des analyses supplémentaires ont étudié les symptômes psychotiques comorbides chez les patients avec et sans HAV. Parmi les 28 patients souffrant d’hallucinations, 78% ont présenté une HAV au moins une fois par jour, 79% ont présenté une hallucination dans une modalité sensorielle différente (visuelle, tactile, olfactive ou gustative) et 61% ont présenté des hallucinations supplémentaires dans plusieurs modalités sensorielles. Parmi les patients souffrant de HAV, des délires sont présents dans 44% des cas, un comportement hallucinatoire dans 70% des cas, et une suspicion et/ou des idées de persécution dans 33% des cas.
Hallucinations auditives, visuelles, olfactives et tactiles
Dans une série de cas de 10 patients atteints de TPL, Yee et al. ont exploré la co-occurrence des hallucinations dans diverses modalités sensorielles. Dans leur groupe, 30% ont présenté des hallucinations visuelles et olfactives en plus de leur HAV, tandis que tous (100%) ont rapporté une insertion de pensées, 90% un blocage ou un retrait des pensées, et 70% la sensation d’être sous l’influence d’une puissance extérieure. Dans quatre autres rapports décrivant un total de 16 patients, la HAV s’accompagne régulièrement d’hallucinations visuelles, olfactives et tactiles, ainsi que de délires paranoïaques. Un des patients a également ressenti des idées de référence.
Lien entre HAV, troubles comorbides et traumatismes de l’enfance chez les patients atteints du trouble borderline
Très peu d’études ont examiné l’association entre les HAV et les troubles psychiatriques comorbides. Tschoeke et al. ont exploré l’abus dans l’enfance et les troubles dissociatifs chez 23 patients borderline (TPL) avec HAV, et chez 21 patients avec schizophrénie.
Traumatismes infantiles
Les patients borderline ont plus fréquemment rapporté des traumatismes infantiles, notamment des abus émotionnels et des négligences. De plus, ces mêmes patients ont obtenu des scores plus élevés que les patients schizophrènes sur les échelles d’abus émotionnel et physique et de négligence, ainsi que sur les échelles d’abus sexuels.
Troubles dissociatifs
Chez 96% des patients souffrant de TPL, des troubles dissociatifs majeurs ont été constatés (78% de troubles dissociatifs non autrement spécifiés et 18% de troubles dissociatifs de l’identité), alors qu’ils étaient absents chez les patients diagnostiqués schizophrènes.
En répétant les analyses de l’étude de Nemantsverdriet et al. pour les patients borderline avec et sans HAV, les auteurs de l’étude systématique ont obtenu la meilleure adéquation en incluant l’état de stress post-traumatique (ESPT) et en excluant les troubles de l’humeur et les troubles liés à la consommation de substances. Pour les patients souffrant de ESPT, le risque relatif rapproché (OR) de l’expérience des HAV, par rapport aux patients sans ESPT, était de 2,7 (IC 1,2-7,2 p = 0,021).
Troubles comorbides ou toxicomanie
On n’a pas trouvé d’association significative entre les HAV et les troubles comorbides de l’humeur ou de la toxicomanie. Les analyses montrent aussi que le nombre médian de diagnostics comorbides était plus élevé chez les patients souffrant de TPL et de HAV que ceux n’en présentant pas (quatre contre trois respectivement ; tau-b de Kendall 0,199, p= 0,021).
Traitement des symptômes psychotiques chez les patients atteints de TPL
TCC et stimulation cérébrale non invasive
Sur les 21 études retenues sur ce thème et qui portent sur 586 patients au total, les auteurs n’ont trouvé aucune étude comparable dans le domaine de la thérapie cognitive et comportementale (TCC) ou de la stimulation cérébrale non invasive, c’est-à-dire la stimulation transcrânienne à courant continu (tDCS) et la SMT.
A noter cependant que dans une étude pilote randomisée et contrôlée sur 16 patients âgés de 15 à 25 ans, Gleeson et al. ont comparé un traitement spécialisé du premier épisode combiné à une intervention précoce spécialisée pour le trouble borderline, intitulée Helping Young People Early (HYPE) avec un traitement spécialisé du premier épisode (SFET) seul.
Leur objectif était de fournir un traitement à la fois pour la psychose et la personnalité borderline. Et même si le nombre de personnes testées est trop faible pour permettre des tests de signification ou des calculs de tailles d’effet, le groupe HYPE[1] + SFET a montré moins de symptômes psychotiques positifs et négatifs, une anhédonie et une dépression moins sévères, un meilleur fonctionnement et une meilleure adhésion aux médicaments que le groupe SFET. Un essai contrôlé randomisé de plus grande envergure est donc nécessaire pour confirmer ces résultats.
Efficacité de la clozapine
L’une des quatre études décrivant le traitement antipsychotique de patients atteints de TPL et de troubles psychotiques n’incluait que des patients psychotiques atteints de TPL et résistant au traitement. Ces mêmes patients ont ensuite été recrutés pour une étude plus large sur l’efficacité de la clozapine pour les patients psychotiques résistant au traitement. Dans trois des quatre études, les hallucinations acoustico-verbales des phénomènes psychotiques ont diminué.
Sur les 21 études portant sur l’efficacité des médicaments antipsychotiques, neuf étaient des essais contrôlés randomisés (ECR) avec 215 patients dans la condition active et 205 dans la condition placebo. Trois de ces études ont exploré les hallucinations acoustico-verbales des symptômes psychotiques mais n’ont constaté aucune diminution de dernières.
Les symptômes psychotiques ont diminué dans six études[2] sur neuf et les symptômes paranoïaques dans six études sur huit. Le critère de la gravité des hallucinations n’a été évalué que dans une seule étude, mais dans cette étude, la clozapine a réduit les hallucinations acoustico-verbales résistant au traitement.
Quétiapine et autres antipsychotiques
Les auteurs de l’étude n’ont trouvé aucun essai clinique destiné à mesurer la gravité des HAV. Toutefois, après traitement par antipsychotiques chez deux patients décrits dans un rapport de cas, les HAV ont disparu. Les doses d’antipsychotiques utilisées dans sept études étaient de 1,3 à 5 fois inférieures à celles régulièrement utilisées pour des patients souffrant de troubles psychotiques ; dans toutes les autres études, les doses appliquées étaient normales. Il ressort donc que même à faible dose, les antipsychotiques parviennent à réduire les symptômes psychotiques.
Dans une étude, l’effet de la quétiapine a été exploré chez des patients atteints de TPL, de schizophrénie et de psychose induite par des médicaments. A la fin de cette étude, les scores moyens de chaque échelle d’évaluation étaient significativement plus bas dans chaque groupe de diagnostic, mais c’est chez les patients atteints de psychose médicamenteuse que le pourcentage d’amélioration était le plus élevé.
Le tableau ci-après indique les abandons de traitement et les principaux effets secondaires en % moyen pondéré :
Abandon de traitement : | % moyen pondéré |
Antipsychotiques typiques | 36% |
Antipsychotiques atypiques | 43% |
Principaux effets secondaires des antipsychotiques | % moyen pondéré |
Sédation | 42% |
Bave | 78% |
Gain de poids | 44% |
Nausées | 29% |
Etourdissements | 22% |
Tremblements | 11% |
Anxiété | 11% |
Irritabilité | 18% |
Augmentation de l’appétit | 63% |
Sécheresse de la bouche | 38% |
Acathisie | 15% |
Confusion | 13% |
Insomnie | 14% |
Maux de tête | 11% |
Autres effets secondaires | 5% |
Gain de poids moyen associé à l’olanzapine | de 1,3 à 4,5 kg |
Effets secondaires de la thioridazine | |
Sécheresse de la bouche | 58% |
Etourdissements | 50% |
Sédation | 42% |
Gain de poids | 33% |
Constipation | 17% |
Acathisie | 8% |
Conclusion
Malgré le peu d’études probantes sur le sujet, les antipsychotiques ont des effets bénéfiques sur les symptômes psychotiques des patients souffrant de TPL. D’après les résultats des études, les patients TPL avec des troubles psychotiques pourraient bénéficier d’une combinaison du traitement spécialisé du premier épisode et d’une intervention précoce spécialisée pour la personnalité borderline (Gleeson et al.). En raison du fardeau des HAV dans le trouble TPL, et du risque d’hospitalisation et d’issue défavorable qui en découle, ces hallucinations nécessitent un diagnostic et un traitement appropriés. Il est également urgent d’évaluer l’efficacité de la thérapie cognitivo-comportementale et de la stimulation cérébrale non invasive dans ce groupe sous-diagnostiqué et sous-traité.
* Etudes issues des bases de données PubMed et Ovid
[1] HYPE est un modèle d’intervention intégré comprenant une thérapie cognitive-analytique limitée dans le temps, une gestion de cas et des soins psychiatriques généraux.
[2] Les douze autres études (152 patients) étaient des études ouvertes, naturalistes ou de cas.
Pour aller plus loin :
Lire l’étude complète en anglais
https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyt.2018.00347/full
Lire d’autres études sur le même sujet :
Hallucinations et trouble de personnalité borderline : une revue de littérature
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0013700614001602